Elmer Leterman disait « La vente commence quand le client dit ‘Non’« . Cette célèbre phrase inspire tous les vendeurs et commerciaux du monde, mais elle ne peut s’appliquer au e-commerce, car les acheteurs en ligne sont dans une démarche volontaire : ce sont eux qui mettent le produit au panier et passent la commande. Les progrès récents réalisés sur les modèles génératifs nous permettent maintenant de créer des agents conversationnels capables de reformuler les besoins des clients potentiels et de leur recommander des produits de façon proactive. Au-delà de la prouesse technique, c’est un véritable paradigme pour les pratiques de commerce en ligne avec la montée en puissance des robots-vendeurs.
#GenAI #Ecommerce
En synthèse :
Grâce à l’héritage du Minitel, la France bénéficie de 45 ans d’amélioration des pratiques de commerce en ligne ;
Dans la mesure où il n’y a pas d’acte de vente (ex : argumentation, négociation…), il est plus pertinent de parler de commande en ligne que de vente en ligne ;
Les influenceurs sont les premiers à avoir réellement assuré le rôle de vendeur en ligne à travers les pratiques de « live commerce » ;
Avec les progrès réalisés sur les modèles génératifs, les influenceurs peuvent utiliser des avatars pour vendre 24*7*365 ;
Les agents intelligents préfigurent une nouvelle approche du commerce en ligne avec la possibilité d’impliquer les acheteurs potentiels dans un vrai dialogue de vente.
J’étais en début de mois à Biarritz pour le salon 1to1 Expérience client (compte-rendu ici : L’IA doit rester au service des humains), l’occasion de croiser de vieilles connaissances, discuter avec des personnes inspirantes, et surtout de faire de nouvelles rencontres aléatoires. Parmi elles, Laurent Kretz de l’agence CosaVostra qui édite le podcast Le Panier et avec qui j’ai enregistré cet épisode : De la commande à la vente en ligne grâce à l’IA.
Dans cet échange, il est question de l’évolution du commerce en ligne et surtout du rôle que peut jouer l’IA générative dans l’émergence de nouvelles formes de commerce. Mais avant d’aborder les dernières actualités sur ce sujet, il faut revenir en arrière pour bien comprendre ce qui a été accompli et ce que l’on cherche à faire maintenant.
Les débuts de la vente en ligne avec le Minitel et les comparateurs de prix
Avant l’internet, il y avait le Minitel. Ça, vous le saviez déjà, mais il est toujours important de rappeler qu’au début des années 80, le Minitel faisait son apparition et permettait à ses utilisateurs de passer des commandes en ligne, notamment sur des services emblématiques comme ceux de La Redoute ou de la SNCF : Minitel, histoire du réseau télématique français. Donc non, le commerce en ligne à grande échelle n’est pas né avec Amazon, il a débuté il y a 45 ans avec cette invention française dont nous pouvons être très fiers.
Vous noterez que j’ai utilisé le terme « commande en ligne » et non « vente en ligne ». La différence est subtile, mais elle est essentielle pour bien comprendre les typologies d’activités marchandes en ligne auxquelles je vais faire référence dans cet article et l’évolution majeure qui se profile avec l’IA générative.
Le commerce en ligne a été rendu possible grâce à la numérisation de catalogues de produits et services et avec la possibilité de payer en ligne avec sa carte bancaire. Ce sont les deux pré-requis nécessaires à une activité marchande via internet. D’un point de vue fonctionnel, il s’agit de dispositifs numériques permettant de faire de la commande en ligne, car nous parlons d’un acte d’achat volontaire de la part des clients qui doivent parcourir le catalogue, mettre le produit dans le panier et compléter le formulaire de commande (adresse, mode de livraison, moyen de paiement…).
Au fil des ans, grâce à l’évolution des technologies et pratiques, les boutiques en ligne ont bénéficié d’enrichissements progressifs avec des fiches produit plus détaillées (photos, vidéos, vues à 360°, vues 3D…), une navigation fluidifiée (pages catégories ou thématiques, nouveautés…) et un premier niveau d’interactivité (simulateurs, chat…).
Si les progrès réalisés sont notables aux niveaux visuel, éditorial et fonctionnel, nous ne pouvons néanmoins toujours pas considérer ces améliorations comme de la vente en ligne, mais comme des dispositifs permettant de stimuler le passage de commande en ligne (simplifier, donner envie…).
Il en va de même pour les nombreux comparateurs de prix ou assistants au choix qui perdurent encore aujourd’hui : ils guident l’utilisateur dans son choix, mais la démarche doit être volontaire. Vous noterez au passage que l’ambition de Microsoft au lancement de Bing en 2009 était d’en faire un gigantesque comparateur / assistant : Le marché de la recherche relancé avec Bing et Wolfram ?
Mais ça, c’était avant les médias sociaux…
L’avènement des influenceurs et les débuts des assistants shopping
Voilà une vingtaine d’années que nous parlons des médias sociaux (les premiers réseaux sociaux remontant à la fin des années 90). La principale différence entre les deux est l’asymétrie des interactions : les réseaux sociaux servent à faciliter la mise en relation, tandis que les médias sociaux désignent un ensemble de services plus vaste qui permettent à toutes et à tous de partager des contenus. Ce partage pouvant se faire de façon occasionnelle ou de façon intensive, c’était les débuts des influenceurs et des créateurs de contenus « pro/am » (contraction de « professionnel » et « amateur »).
Avec l’avènement des influenceurs, nous avons vu se populariser des pratiques qui sont beaucoup plus proches de la vente : une personne qui met en avant les qualités d’un produit ou d’un service et qui en fait la promotion ouverte, de façon décomplexée, à travers des vidéos ou des diffusions en direct (le “live shopping” qui devrait plutôt s’appeler “live selling”).
Directement hérité des pratiques de télé-achat, le « live commerce » est extrêmement populaire en Chine, mais peine à s’imposer en Occident (cf. cette interview publiée l’année dernière : Pourquoi le live shopping ne décolle pas en France ?).
Ceci étant dit, il n’y a pas que les humains pour vous conseiller dans vos achats, car dès 2015, IBM proposait un assistant d’achat reposant sur du machine learning capable de vous guider dans vos choix (de comprendre votre besoin) et de vous recommander le meilleur produit : The North Face launches AI shopping experience with IBM and Fluid.
Cette première expérience avec The North Face a été visiblement concluante, car le géant de l’informatique a fini par racheter quelques mois plus tard la startup à l’origine de cet assistant d’achat : IBM buys Expert Personal Shopper from Fluid to build out Watson’s conversation skills.
Mais il ne s’est pas passé grand chose ensuite, pourtant ils y croyaient très fort comme en témoigne cette interview de 2019 : IBM Watson exec on AI virtual agent providers: ‘No big players, except for us’. Depuis, c’est le calme plat, car ils ont réorienté leurs ressources vers la blockchain et les ordinateurs quantiques.
Mais ce n’est pas le cas pour d’autres qui ont continué à innover dans le commerce en ligne.
Reconnaissance visuelle et premiers chatbots marchands
Partant du principe que quasiment tout avait déjà été fait pour faciliter l’accès au produit avec la recherche textuelle, la plateforme sociale Pinterest a été précurseure en lançant la reconnaissance visuelle dans son application mobile dès 2017 : Building Pinterest Lens: a real world visual discovery system.
Une fonctionnalité bien pratique pour trouver un produit partir d’un visuel d’inspiration. C’est à cette même période que Google a commencé à proposer une fonctionnalité similaire sur smartphone : les Google Lens. Depuis, ils ont fait de gros progrès avec dernièrement la possibilité d’entourer l’objet que l’on cherche pour affiner la recherche : Google introduces ‘Circle to Search,’ a new way to search from anywhere on Android using gestures.
Vous noterez que la reconnaissance visuelle a été grandement améliorée grâce aux progrès réalisés en IA générative et plus précisément les modèles de vision : AI in visual search: Use cases, technologies and benefits.
Et puisque l’on parle d’IA générative, comment ne pas évoquer les chatbots de nouvelle génération ? Grâce à l’utilisation combinée des modèles de langage et des modèles de vision, les commerçants peuvent maintenant expérimenter de nouvelles façons d’accéder aux produits, notamment comme le font Mastercard, Ikea et Amazon.
Nous ne les attendions pas sur ce créneau, mais les équipes de Mastercard ont ainsi lancé l’année dernière un assistant d’achat pour aider les utilisateurs à choisir les bons cadeaux de Noël : Mastercard launches Shopping Muse, an AI-powered shopping assistant.
De même, IKEA s’est engouffré à toute vitesse dans la brèche ouverte par ChatGPT en proposant un chatbot capable de générer des images de cuisines aménagées : IKEA launches new AI-powered assistant in OpenAI GPT Store. Une expérience tout à fait légitime, mais dont l’impact concret sur les ventes est négligeable : Ikea launched an AI assistant earlier this year. Has it actually driven sales?.
Il y a surtout Amazon qui propose depuis quelques mois un chatbot intégré à son application mobile pour renseigner les clients et les orienter vers les produits les plus populaires : Amazon debuts ‘Rufus,’ an AI shopping assistant in its mobile app.
Nous ne parlons pas ici d’une FAQ interactive, mais d’un véritable agent conversationnel capable de vous aider à préciser votre besoin et à vous orienter vers une offre. Et cette fonctionnalité n’est qu’une des nombreuses possibilités offertes par les modèles génératifs.
Avatars d’influenceurs et assistants d’achat
Surfant sur la vague des micro-influenceurs, ces « monsieur et madame tou-le-monde » qui vantent les mérites de produits du quotidien, la startup française Arcards a eu la bonne idée de modéliser le visage et la voix de centaines d’acteurs pour proposer un catalogue de VRP synthétiques permettant de créer différentes capsules vidéo à publier sur Instagram, TikTok ou YouTube : The Deodorant AI Spokesmodel Is a Real Person, Sort Of.
Le procédé peut surprendre, voir inquiéter, mais le résultat est bluffant. En tout cas la startup de du Loir-et-Cher assume tout à fait : How to Create (Viral) UGC Ads Using AI.
Ils n’ont pas réellement intérêt à douter de la pertinence de leur offre, car d’autres ne se posent pas autant de questions, à l’image de ces Key Opinion Leaders chinois qui utilisent leurs jumeaux numériques pour faire du live commerce jour et nuit : Deepfakes of Chinese influencers are livestreaming 24/7.
Et le pire, c’est que ça ne dérange personne là-bas puisque ByteDance envisage d’intégrer cette fonctionnalité à sa célèbre application sociale : TikTok ads may soon contain AI-generated avatars of your favorite creators.
Les modèles génératifs seraient-il le nouvel eldorado du commerce en ligne ? Visiblement oui, car Amazon et Google en font un usage plus intensif, notamment avec le déploiement à grande échelle du chatbot d’Amazon qui propose maintenant du placement publicitaire : Amazon starts testing ads in its Rufus chatbot.
Idem chez Google avec l’intégration de résultats sponsorisés dans les nouvelles pages de recherche qui proposent des résumés synthétiques : Google’s AI search summaries officially have ads.
Il n’y a qu’un pas des pages de recherche au comparateur de prix (en fait un onglet), c’est donc en toute logique que Google vient de dévoiler une nouvelle version majeure de Google Shopping qui intègre maintenant leur assistant numérique : Google Is Making Gemini Your New Personal Shopper.
Avec ces nouvelles fonctionnalités marchandes reposant sur les chatbots et assistants numériques, se pose la question de l’évolution des pratiques de SEO (« Search Engine Optimisation« ) vers celles de CBO (« ChatBot Optimisation« ), ou les actions permettant d’améliorer la visibilité de produits dans les réponses ou synthèses générées par une IA : What is generative engine optimization (GEO)?
Dans l’absolu, il n’y a rien de bien compliqué, car le fait d’exposer une offre sur un site ou service tiers est grosso-modo ce que les marques font depuis e années avec l’exportation de leur flux de produits vers les marketplaces. Mais dans le cas des chatbots et assistants numériques, nous pouvons envisager quelque chose de plus poussé (ex : génération d’images pour mettre les produits en situation) ce qui nécessiterait une utilisation plus intensive des PIM des marques (« Product Information Managers« ). Donc rien d’impossible, uniquement une bonne gestion des droits d’accès.
Dans tous les cas de figure, l’avènement des chatbots, agents transactionnels et assistants numériques représente assurément une nouvelle façon de travailler pour les référenceurs : How Marketers Can Adapt to LLM-Powered Search.
Au-delà de l’impact sur les métiers de l’acquisition de trafic, les IA génératives annoncent un nouveau paradigme du commerce en ligne avec la possibilité de véritablement vendre en ligne, ce qui n’était pas possible avant, du moins pas de façon active.
La vente en ligne rendue possible grâce aux LLMs
Selon la définition : “La vente est l’action de proposer et d’échanger un produit ou un service contre de l’argent, impliquant une négociation entre un vendeur et un acheteur”. Jusqu’à preuve du contraire, tout ce qui était proposé par les marques et distributeurs s’apparentait à du passage de commande en ligne, car il n’y avait pas de vendeurs pour argumenter de façon active ou pour négocier avec les acheteurs potentiels. Encore une fois, il y a de très gros progrès pour mettre en scène les produits de façon valorisante (photos à 360°, zoom XL…), pour proposer des argumentaires écrits personnalisés selon des profils-types d’acheteurs ou pour vanter leurs bénéfices dans des vidéos, mais rien qui s’apparente à de la vente entre personnes.
Ainsi, dans le commerce traditionnel, la vente est un dialogue de proximité où le vendeur utilise un argumentaire et des techniques de persuasion (écoute active, reformulation…) pour convaincre l’acheteur de la valeur de l’offre (sa correspondance aux besoins) et l’inciter à passer à l’acte selon des conditions mutuellement profitables (remises, accessoires offerts…).
Reproduire l’expérience de vente en boutique n’était jusque-là pas possible, mais grâce aux progrès spectaculaires réalisés en traitement du langage, les commerçants ont maintenant à leur disposition des outils extrêmement puissants, capables de décortiquer les besoins des acheteurs potentiels et d’argumenter avec eux de façon très convaincante, et en temps réel.
N’allez pas penser que je suis en train de vous dévoiler mes prédictions pour 2025, car ces agents intelligents sont déjà une réalité de marché avec de nombreuses startups qui sont déjà positionnées sur le créneau (ex : OneAI, Cognigy…) , ainsi que les poids lourds du secteur comme SalesForce ou Zendesk (The Future of Commerce: Unified and Augmented by AI Agents et AI agents: A guide to the future of intelligent support).
J’anticipe un nouveau marché : celui des spécialistes de la vente qui vont entrainer des modèles génératifs aux différentes techniques de vente (écoute active, vente incitative ou croisée, reformulation, concession ajustée, AIDA, BATNA, SPIN…). Nous parlerons alors plus de modèles de langage, mais de modèles de vente qui seront intégrés dans les boutiques en ligne à travers un chatbot et facturés à la commission.
Pendant mes études, j’ai travaillé dans une boutique Levi’s. La première chose que l’on m’a interdite de faire est de poser des questions fermées aux clients « Est-ce que je peux vous aider ? » ou « Vous cherchez quelque chose ?« , car ces phrases d’accroche n’amènent que des réponses négatives (« Non, non, je regarde« ). Le manuel du bon vendeur stipulait qu’il fallait observer discrètement les clients et s’insérer dans leur processus d’achat de façon fluide avec des invitations ouvertes (ex : « Quelle taille souhaitez essayer ?« ). Voilà tout à fait le type d’interaction que nous pourrions envisager avec cette nouvelle génération d’agents intelligents : laissez les internautes farfouiller dans la boutique en ligne et intervenir au bon moment pour fluidifier la vente ou proposer des compléments ou alternatives pour verrouiller la vente et augmenter la valeur du panier.
Et en prime, nous pourrions même envisager de faire la vente à l’orale (ChatGPT lance le mode vocal avancé en France) et de spontanément générer une image de mise en situation du produit grâce au profil du client (ex : « Regardez comme ce manteau vous irait bien !« ). Certes, de telles fonctionnalités signifieraient une augmentation considérable des besoins en puissance de calcul, mais elles pourraient être restreintes aux clients les plus fidèles ou aux clients bénéficiant d’un abonnement (l’équivalent du programme Amazon Prime).
Comme vous pouvez le constater, les modèles génératifs offrent de nombreuses possibilités que nous sommes loin d’avoir testées. Comme expliqué plus haut, je suis persuadé que nous sommes à l’aube d’une véritable révolution dans le commerce en ligne, j’espère simplement que ces possibilités ne vont pas être utilisées à tort et à travers…
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